21 avril 2008

85. Rocha : Terre en transe

1001 films de Schneider : Terre en transe


Film brésilien réalisé en 1967 par Glauber Rocha
Avec Jardel Filho, Paulo Autran, José Lewgoy, Glauce Rocha

Un film coup-de-poing...sur la gueule de tous les manipulateurs politiques qui récupèrent les révoltes citoyennes contre de méchants dictateurs afin d'installer un pouvoir tout aussi totalitaire caché sous le maquillage du populisme. Ce film est à désespérer des belles causes qui, toujours, finissent dans le lit de petits potentats.
"Un film opéra-mitrailleuse" dit Jean-Louis Bory dans La nuit complice. Un critique dont il faut lire les textes dès qu'il s'agit d'un film des années 60 ou 70.

Film-désespoir. Réalisé dans le courant des années soixante, période durant laquelle l'Amérique latine a été profondément marquée par les révoltes paysannes et par le développement de nombreux mouvements de libération, ce film nous envoie en pleine gueule un des slogans de la gauche soixante-et-huitarde, "Élections, piège à cons". 

Message : Pas de changement politique significatif sans faire table-rase du système politique en place. Donc, seule la prise des armes par les masses paysannes et ouvrières peut induire un changement significatif et permanent de la société dans une optique égalitaire. Voilà la leçon transmise par ce film de Glauber Rocha que l'on sent complètement désabusé suite à l'échec de l'aventure démocratique brésilienne qui s'est soldée par la prise du pouvoir des militaires en 1964; pouvoir qu'ils conserveront jusqu'en 1985.

Film au montage un peu confus, parfois difficile à suivre, mais œuvre des plus marquantes de cette période durant laquelle le cinéma latinoaméricain (pensons au bolivien Jorge Sanjines) se présente comme un outil de sensibilisation et de combat contre les régimes totalitaires pour la plupart soutenus par les États-Unis.

Je ne sais pas exactement quand a commencé ma passion pour l'Amérique Latine. Mais je me rappelle qu'en 1967, alors que j'avais 20 ans, je vouais une admiration insensée pour Che Guevara que j'avais appris à connaître à travers quelques rares articles de magazines français. J'étais surtout fasciné par son image : béret, barbe hirsute, cigare, toute la fierté du monde dans ses yeux, le plus séduisant des révolutionnaires. "Un, deux, trois, plusieurs Vietnam", son mot d'ordre le plus éclatant, c'était à peu près toute la connaissance que j'avais de sa pensée politique.

Cette passion allait se nourrir au cours des années suivantes de plusieurs événements : cours de Géographie sur l'Amérique latine à l'université Laval, voyage au Mexique à l'été 1970, élection de Salvador Allende au Chili en 1970, séjour de plusieurs mois au Mexique en 1972-1973, mon projet de doctorat en Géographie au Chili malheureusement avorté par le renversement du régime Allende le 11 septembre!!!1973; tout ça constamment nourri de lectures, de films, de musique à contenu latinoaméricain.

Bon, n'anticipons pas trop. Nous sommes en novembre 1971 et Allende est au pouvoir; le premier gouvernement communiste élu de l'histoire. Vraiment à l'avant-garde démocratique par rapport à tous les pays d'Amérique Latine dominés par des régimes dictatoriaux, militaires ou non. Il semblait donc, contrairement au message du film de Rocha, que les urnes pouvaient vraiment apporter une solution aux problèmes socioéconomiques de l'Amérique Latine. Mais deux ans plus tard, l'armée chilienne dirigée par le général Pinochet, largement soutenue par la CIA, allait mettre un couvercle étanche sur cette expérience unique de démocratie et faire rentrer le Chili dans le rang des dictatures militaires.

Il faudra attendre les années 2000 pour voir la mise en place démocratique de gouvernements sociaux-démocrates. Alors, presque tous les pays d'Amérique du Sud seront touchés par ce vent libérateur : Venezuela, Brésil, Bolivie, Chili, Uruguay et, depuis hier le 20 avril, le Paraguay.

Film introuvable en Amérique du Nord (avril 2008).
J'ai réussi à en dénicher une vieille copie sur VHS à la cinémathèque québécoise à Montréal que j'ai pu visionner sur leur antique magnétoscope.

Critique. Cahiers du Cinéma. Juin 1967. Numéro 191. Par Serge Daney
Les 300 premiers numéros des Cahiers du Cinéma sur Archive.org

Cannes 1967. Prix de la critique.

Visionné, la première fois, le 25 novembre 1971 au ciné-club de l'Université Laval à Québec
Quel beau dessin, typique de l'iconographie révolutionnaire de cette époque qui nous apparaît aujourd'hui dans toute son innocence et dans toute sa simplicité (dans le sens de simpliste, aussi).
Mon 85ème film visionné de la liste des 1001 films du livre de Schneider
Mis à jour le 22 janvier 2023