02 novembre 2008

104. Bergman : Cris et chuchotements

1001 films de Schneider : Cris et chuchotements


Film suédois en rouge et blanc réalisé en 1972 par Ingmar Bergman
Avec Harriet Andersson (Agnès), Ingrid Thulin (Karin), Liv Ullmann (Maria), Kari Sylwan (Anna)

Détresse et désespoir.
Il n'y aura plus jamais la joie pour les survivants.

Un des films les plus noirs, les plus tristes, les plus désespérés qu'il m'ait été donné de voir. Je ne peux pas sortir de ce film sans être, à chaque fois, perturbé pendant un certain temps.

Tant d'amour et de haine autour d'une femme, la cadette de la famille, qui agonise et meurt dans des souffrances à la limite du supportable. Une prestation d'Harriet Andersson qui me bouleverse aux larmes avec, constamment en mémoire, sa prestation de jeune fille désinvolte, mordant dans la vie dans Monika de ce même Bergman, 20 ans auparavant.

Pour paraphraser le célèbre adage d'André Gide : "Famille, on se hait", voilà le thème principal de cette œuvre. Au début, on est effrayé par la longue et douloureuse agonie d'Agnès (Harriet Andersson) puis, lentement, on découvre que l'horreur est ailleurs. Il est dans l'absence d'amour, voire dans la haine, que les deux sœurs survivantes distillent autour d'elle. Cette froideur de sentiment nous glace littéralement dans les dernières séquences du film. C'est là que résident, finalement, la détresse et le désespoir.

A contrario, comme pour accentuer ce dysfonctionnement émotionnel, Bergman, par l'entremise d'Anna, la bonne, nous fait vivre des moments de compassion comme il nous en a rarement montrés dans ses autres œuvres. Le point culminant étant atteint dans ce plan nous montrant Anna qui tient dans ses bras Agnès, agonisante. En voyant cette prière cinématographique, j'aurais presque le goût de revenir aux croyances catholiques de mon enfance. 

La pìetà de Michel-Ange

La pietà de Bergman

Anthologique
Les dix premières minutes du film : chef d'œuvre esthétique. Sven Nykvist au sommet de son art : Rouge omniprésent, cinq plans fixes à la Ozu, des tic tacs et des sonneries de pendules ("...la pendule d'argent qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit: je t'attends; qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend" Les vieux de Jacques Brel), du rouge partout sauf la jaquette toute blanche d'Agnès qui se réveille. Dans son regard, pendant quelques secondes, elle habite encore un monde dans lequel elle est heureuse et bien vivante, puis le retour de l'horreur de sa condition de malade en phase terminale.

J'ai vu ce film en 1973, j'avais 27 ans : il m'était complètement passé par-dessus la tête et à côté du cœur. Il n'avait laissé aucune trace dans mon expérience de cinéphile. Mais le revoir aujourd'hui, c'est une tout autre expérience. La puissance de la charge émotionnelle transportée par ce film est tout simplement dévastatrice. On n'en sort pas indemne. Comme quoi si la violence "is no country for old men" (dixit les frères Coen), la sensibilité, par contre, devient de plus en plus, leur univers.

Pour toutes les Agnès, Maria et Karin de ce monde, cette chanson de Coldplay, Fix You, un baume pour le cœur.


Oscars 1974. Sven Nykvist, meilleure cinématographie
Cannes 1973. Grand prix technique

Visionné la première fois le 2 décembre 1973 au cinéma à Montréal
Mon 104ème film visionné de la liste des 1001 films du livre de Schneider
Mis à jour le 28 janvier 2023